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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/63

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le permettaient les grilles et les châssis de bois dissimulateurs. C’était maintenant « l’heure pourpre des soirs de bataille », comme elle disait dans son journal d’enfant, et des idées de fuite, de révolte ouverte bouleversaient sa petite tête indomptable et charmante… Pourtant, quelle immobilité sereine, quel calme fataliste et résigné, dans ses entours ! Un parfum d’aromates montait de ce grand bois funéraire, si tranquille devant ses fenêtres, —parfum de la vieille terre turque immuable, parfum de l’herbe rase et des très petites plantes qui s’étaient chauffées depuis le matin au soleil d’avril. Les verdures noires des arbres, détachées sur le couchant qui prenait feu, étaient comme percées de part en part, comme criblées par la lumière et les rayons. Des dorures anciennes brillaient çà et là, aux couronnements de ces bornes tombales, que l’on avait plantées au hasard dans beaucoup d’espace, que l’on avait clairsemées sous les cyprès. (En Turquie, on n’a pas l’effroi des morts, on ne s’en isole point ; au cœur même des villes, partout, on les laisse dormir.) À travers ces choses mélancoliques des premiers plans, entre ces gerbes de feuillage sombre qui se tenaient droites comme des tours, dans les intervalles de tout cela, les lointains apparaissaient, le grand décor incomparable : tout Stamboul et son golfe, dans leur plein embrasement des soirs purs. En bas, tout à fait en bas, l’eau de la Corne-