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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/80

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Guni (correspondant à notre dimanche) et où l’on doit, à la veillée, prier pour les morts, ainsi qu’à la veillée du Tcharchembé (qui correspond à notre jeudi). Or, elles n’avaient jamais manqué à ce devoir-là, c’était même une des seules coutumes religieuses de l’Islam qu’elles observaient fidèlement encore ; pour le reste, elles étaient comme la plupart des musulmanes de leur génération et de leur monde, touchées et flétries par le souffle de Darwin, de Schopenhauer et de tant d’autres. Et leur grand-mère souvent leur disait : « Ce qui est bien triste à voir pour ma vieillesse, c’est que vous soyez devenues pires que si vous vous étiez converties au christianisme, car, en somme, Dieu aime tous ceux qui ont une religion. Mais vous, vous êtes ces vraies infidèles dont le Prophète avait si sagement prédit que les temps viendraient. » Infidèles, oui, elles l’étaient, sceptiques et désespérées bien plus que la moyenne des jeunes filles de nos pays. Mais cependant, prier pour les morts leur restait un devoir auquel elles n’osaient point faillir, et d’ailleurs un devoir très doux : même pendant leurs promenades d’été, dans ces villages du Bosphore qui ont des cimetières exquis, à l’ombre des cyprès et des chênes, il leur arrivait de s’arrêter et de prier, sur quelque pauvre tombe inconnue.

Donc, elles rallumèrent sans bruit une veilleuse bien