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MADAME CHRYSANTÈME

s’agitent frénétiquement. Elles baissent la tête toutes deux, avancent la lèvre inférieure, pour faire sortir avec effort ces étonnantes notes profondes. Et c’est dans ces moments-là que leurs petits yeux bridés s’ouvrent, semblent révéler quelque chose comme une âme, sous ces enveloppes de marionnette.

Mais une âme qui, plus que jamais, me paraît être d’une espèce différente de la mienne ; je sens mes pensées aussi loin des leurs que des conceptions changeantes d’un oiseau ou des rêveries d’un singe ; je sens, entre elles et moi, le gouffre mystérieux, effroyable…

Une autre musique, venue des lointains du dehors, interrompt pour un instant celle que ces mousmés nous faisaient.

C’est en bas, dans Nagasaki, dans les profondeurs au-dessous de nous, un bruit soudain de gongs et de guitares ; — nous courons nous pencher au balcon de la véranda pour mieux l’entendre.

Un matsouri, une fête, un cortège qui passe — « dans le quartier des dames galantes », affirment nos mousmés, avec un plissement dédaigneux des