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MADAME CHRYSANTHÈME

Par instants l’ondée tombe si fort que je ferme tout bien juste ; je m’engourdis dans le bruit et les secousses, oubliant tout à fait dans quel pays je suis. — Cette capote de voiture a des trous qui me font couler des petits ruisseaux dans le dos. — Ensuite, me rappelant que je voyage en plein Nagasaki et pour la première fois de ma vie, je jette un regard curieux dehors, au risque de recevoir une douche : nous trottons dans quelque petite rue triste et noirâtre (il y en a comme ça un dédale, des milliers) ; des cascades dégringolent des toits sur les pavés luisants ; la pluie fait dans l’air des hachures grises qui embrouillent les choses. — Parfois nous croisons une dame, empêtrée dans sa robe, mal assurée sur ses hautes chaussures de bois, personnage de paravent qui se trousse sous un parapluie de papier peinturluré. Ou bien nous passons devant une entrée de pagode, et alors quelque vieux monstre de granit, assis le derrière dans l’eau, me fait la grimace, féroce.

Mais comme c’est grand, ce Nagasaki ! Voilà près d’une heure que nous courons à toutes jambes et cela ne paraît pas finir. Et c’est en plaine ; on ne soupçonnait pas cela, de la rade, qu’il y