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MADAME CHRYSANTHÈME

veillaient nos lampes ; l’idole souriait de l’impassible sourire bouddhique, et sa présence semblait jeter dans l’air de cette chambre je ne sais quoi d’inconnu et d’incompréhensible ; à aucune époque de ma vie passée, je n’avais encore dormi sous le regard de ce dieu-là…

Au milieu de ce calme et de ce silence du milieu de la nuit, je cherchai à ressaisir encore mes impressions poignantes de Stamboul. — Hélas ! non, elles ne revenaient plus, dans ce milieu trop lointain et trop étrange… À travers la gaze bleue transparaissait la Japonaise, étendue avec une grâce bizarre dans sa robe de nuit d’une couleur sombre, la nuque reposant sur son chevalet de bois et les cheveux arrangés en grandes coques lustrées. Ses bras ambrés, délicats et jolis, sortaient jusqu’à l’épaule de ses manches larges.

« Qu’est-ce donc que ces souris des toits avaient pu me faire, » se disait Chrysanthème. Naturellement elle ne comprenait pas. Avec une câlinerie de petit chat, elle coula vers moi ses yeux bridés, me demandant pourquoi je ne venais pas dormir, — et je retournai me coucher auprès d’elle.