Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/128

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yeux à demi fermés, pareils à de petites fentes blanches, elles s’avançaient au milieu de nous avec des sourires de femmes mortes, tenant leurs bras en l’air et écartant leurs doigts grêles, dont les grands ongles étaient enfermés dans des étuis d’or.

En même temps, des odeurs de baume et d’encens ; on brûlait des baguettes dans un réchaud, et une fumée alanguissante se répandait comme un nuage bleu.

Les gongs sonnaient plus fort et ces fantômes dansaient, gardant leurs pieds immobiles, exécutant une espèce de mouvement rythmé du ventre avec des torsions de poignets. Toujours le sourire figé, le regard blanc des cadavres ; il semblait que cela seul eût vie en elles : ces gros reins cambrés de goule qu’agitaient des trémoussements lascifs, et puis, au bout des bras raidis, ces mains écartées, inquiétantes, qui se tordaient.

… Le Hello, qui, depuis longtemps, dormait par terre, entendant les gongs sonner si fort, se réveilla et eut peur.

— Té, pardi, les danseuses ! lui expliqua Barrada, gouailleur, riant de lui.