Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/135

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ces vergues qui se secouaient, qui avaient des mouvements brusques, désordonnés, comme les derniers battements d’ailes d’un grand oiseau blessé qui râle.

Des cris d’angoisse venaient de là-haut, de cette espèce de grappe humaine suspendue. Cris d’hommes, cris rauques, plus sinistres que ceux des femmes, parce qu’on est moins habitué à les entendre ; cris d’horrible douleur : une main prise quelque part, des doigts accrochés, qui se dépouillaient de leur chair ou s’arrachaient ; — ou bien un malheureux, moins fort que les autres, crispé de froid, qui sentait qu’il ne se tenait plus, que le vertige venait, qu’il allait lâcher et tomber. Et les autres, par pitié, l’attachaient, pour essayer de l’affaler jusqu’en bas.

… Il y avait deux heures que cela durait ; ils étaient épuisés ; ils ne pouvaient plus.

Alors on les fit descendre, pour envoyer à leur place ceux de bâbord qui étaient plus reposés et qui avaient moins froid.

… Ils descendirent, blêmes, mouillés, l’eau glacée leur ruisselant dans la poitrine et dans le dos, les mains sanglantes, les ongles décollés, les