Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/149

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Alors je cherchais à le retenir avec mes mains, qui n’avaient plus de force, qui étaient molles comme dans les rêves. J’essayais de le prendre à bras-le-corps, de nouer mes mains autour de sa poitrine, me rappelant que sa mère me l’avait confié ; et je comprenais avec angoisse que je ne le pouvais pas, que je n’en étais plus capable ; il allait m’échapper et disparaître dans tout ce noir mouvant qui bruissait au-dessous de nous… Et puis ce qui me faisait peur, c’est qu’il ne se réveillait pas et qu’il était glacé, d’un froid qui me pénétrait, moi aussi, jusqu’à la moelle des os ; même, la toile de son hamac était devenue rigide comme la gaine d’une momie…

Et je sentais dans ma tête les vraies secousses, la vraie douleur de tous ces chocs, je mêlais ce réel avec l’imaginaire de mon rêve, comme il arrive dans les états d’extrême fatigue, et alors la vision sinistre en prenait d’autant plus d’intensité et de vie.

Ensuite, je perdis conscience de tout, même du mouvement et du bruit, et ce fut alors seulement que le repos commença…

… Quand je me réveillai, c’était le matin. La première lumière était de cette couleur jaune qui est particulière aux levers du soleil les jours de tem-