Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous défilons tout le long de la grand’rue pour aller à l’église.

Elle est très ancienne, cette église de Toulven ; elle s’élève toute grise dans le ciel bleu, avec sa haute flèche de granit à jours, que par place les lichens ont dorée. Elle domine un grand étang immobile avec des nénuphars, et une série de collines uniformément boisées qui font par derrière un horizon sans âge.

Tout autour, un antique enclos ; c’est le cimetière. Des croix bordent la sainte allée ; elle sortent d’un tapis de fleurs, d’œillets, de giroflées, de blanches marguerites. Et dans les recoins plus abandonnés où le temps a nivelé les bosses de gazon, il y a des fleurs encore pour les morts : les silènes et les digitales des champs de Bretagne ; la terre en est toute rose. Les tombes se pressent là, aux portes de l’église séculaire, comme un seuil mystérieux de l’éternité ; cette grande chose grise qui s’élève, cette flèche qui essaye de monter, il semble, en effet, que tout cela protège un peu contre le néant ; en se dressant vers le ciel, cela appelle et cela supplie : et c’est comme une éternelle prière immobilisée dans du granit. Et les pauvres tombes enfouies