Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/197

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à la fin ! même ici, dans cette paix et ce bon jour de fête, apporter encore ces scènes-là !

Je dis simplement :

— Yves ne sortira pas !

Et, pour lui couper la route, je me mis en travers de la porte, arc-bouté aux vieux montants de chêne, qui étaient massifs et solides.

Lui n’osait rien me répondre à moi-même. Il allait et venait, cherchant toujours ses habits de bord, tournant comme une bête fauve que l’on tient captive. Il avait dit à voix basse que rien ne l’empêcherait de sortir dès qu’il aurait trouvé son bonnet pour se coiffer. Mais c’est égal, l’idée qu’il faudrait me toucher pour essayer de sortir le retenait encore.

Moi aussi, j’étais dans un mauvais jour et je ne sentais plus rien de cette affection qui avait duré tant d’années, pardonné tant de choses. Je voyais devant moi le forban ivre, ingrat, révolté, et c’était tout.

Au fond de chaque homme, il y a toujours un sauvage caché qui veille, — chez nous surtout qui avons roulé la mer. — C’étaient nos deux sauvages qui étaient en présence et qui se regardaient, ils ve-