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LII

Yves, à la fin, parut, marchant droit, cambré, la tête haute, mais l’œil atone, égaré. Il vit sa femme, mais passa sans en avoir l’air, lui jetant un mauvais regard trouble.

Ce n’était plus lui, — comme il le disait lui-même après, dans les bons moments de repentir qu’il avait encore.

Ce n’était plus lui, en effet : c’était la bête sauvage que l’ivresse réveillait, quand sa vraie âme était obscurcie et disparue.

Marie se garda de dire un mot, non seulement de faire un reproche, mais même de supplier. Il ne fallait rien dire à Yves dans ces moments où sa tête était perdue : il serait reparti encore. Elle savait cela ; elle était pliée à ce silence.

Elle suivit, tête basse, sous la pluie, traînant par la main petit Pierre, qui tâchait de pleurer encore plus doucement depuis qu’il avait vu son père et qui mouillait ses pauvres petits pieds dans la boue du ruisseau. Comment avait-elle pu le