Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LVI

Et pourtant, si ! — quelque chose lui disait qu’il en avait, du cœur, mais qu’il était un grand enfant que la vie de la mer avait perdu. Avec un attendrissement très doux, elle retrouvait sa figure noble et tranquille, sa voix, son sourire des bons moments où il était sage…

L’abandonner ?… À cette idée qu’il s’en irait seul, tout à fait perdu alors, et jetant tout au diable, livré à ses vices et à ceux des autres, recommencer sa vie de débauches avec d’autres femmes, naviguer au loin, puis vieillir seul, délaissé, épuisé par l’alcool !… oh ! à cette idée de le quitter, elle était prise d’une angoisse plus horrible que tout : elle sentait qu’elle était rivée à lui maintenant par un lien plus fort que toute raison, que toute volonté humaine. Elle l’aimait éperdument, sans avoir conscience de la grandeur de son amour… Non, plutôt, si elle ne pouvait pas l’en retirer, elle se laisserait rouler avec lui dans la dernière fange pour l’avoir encore dans ses bras jusqu’à l’heure de mourir.