Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/227

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avec de dernières fleurs maladives, sur les appuis ; des chrysanthèmes morts, dans des pots.

C’était le matin. Des bandes de matelots circulaient déjà, dans leur belle tenue propre, chantant, commençant la fête du dimanche.

On respirait une brume blanche, une fraîcheur humide, — sensation nouvelle de l’hiver. — Comme j’arrivais de l’Adriatique, encore ensoleillée, les teintes de ce Brest me semblaient plus grises.

Au numéro 154, — au-dessus de l’enseigne : À la pensée du beau canonnier, — je montai trois étages d’un vieil escalier immense, et trouvai la chambre des Kermadec.

On entendait de la porte le bruit régulier d’un berceau. Petit Pierre, bien gâté tout de même, avait gardé cette habitude de se faire endormir, et Yves, seul avec son fils, était assis près de lui, le berçant d’une main, très lentement.

Il leva son regard triste, ému de me voir, mais osant à peine venir à moi, son expression disant : « Ah ! oui, frère, je sais, vous venez pour me prendre ; c’était bien ce que j’avais demandé ; mais… mais je ne vous attendais peut-être pas si vite ; et, de m’en aller, cela va me faire souffrir… »