Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/247

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— Yves, où vas-tu ?

Lui, me regarda d’un mauvais regard que je ne lui connaissais pas, et qui me défiait, et où je lisais encore la fièvre et l’égarement de l’alcool.

— Je vais retrouver mes amis, dit-il, des marins de mon pays, auxquels j’ai promis, et qui m’attendent.

Alors j’essayai de le raisonner, le prenant à part ; obligé de dire tout cela très vite, car le temps pressait obligé de parler bas et de garder un air très calme, car il fallait dissimuler cette scène aux autres, qui étaient là, tout près de nous. Et je sentais que je faisais fausse route, que je n’étais plus moi-même, que la patience m’abandonnait. Je parlais de ce ton qui irrite, mais qui ne persuade pas.

— Oh ! si, je vous jure, j’irai ! dit-il à la fin en tremblant, les dents serrées ; à moins de me mettre aux fers aujourd’hui, vous ne m’en empêcherez pas.

Et il se dégageait, me bravant en face pour la première fois de sa vie, s’en allant pour rejoindre les autres.

— Aux fers ?… Eh bien, oui, Yves, tu iras !

Et j’appelai un sergent d’armes, lui donnant tout haut l’ordre de l’y conduire.