Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/311

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C’était très grave, en effet, et je ne savais plus moi-même quel parti prendre : — une espèce de rébellion, s’être esquivé du bord étant déjà puni des fers, et trois jours d’absence ! J’avais été sur le point de leur dire, après les avoir fait s’embrasser : « Désertez tous les deux, tous les trois, mes chers amis ; car il est bien tard à présent pour mieux faire : qu’Yves s’en aille sur sa Belle-Rose, et vous vous rejoindrez en Amérique. »

Mais non, c’était trop affreux cela, abandonner à jamais la terre bretonne, et la petite maison de Toulven, et les pauvres vieux parents !

Alors, en tremblant un peu de ma responsabilité, j’avais pris la décision contraire : rendre le soir même les avances touchées, dégager Yves des mains de ce capitaine Kerjean, et, dès le lendemain matin, aussitôt le port ouvert, le remettre à la justice maritime. Des jours pénibles avaient suivi, jours de démarches et d’attente, et enfin, avec beaucoup de bienveillance, la chose avait été ainsi réglée : un mois de fers et six mois de suspension de son grade de quartier-maître, avec retour à la paye de simple matelot.

Voilà comment mon pauvre Yves, reparti avec