Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/332

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chantent avec les baleiniers. C’est fête partout. Et je vois de loin Yves et Goulven, qui ne boivent pas, eux, mais qui font les cent pas en causant. Goulven, le plus grand, a passé son bras sur les épaules de son frère, qui le tient, lui, autour de la taille ; isolés tous deux au milieu des autres, ils se promènent en se parlant à voix basse.

Les verres se vident partout dans des toasts bizarres. Le capitaine, qui d’abord ressemblait à la statue impassible d’un dieu marin ou d’un fleuve, s’anime, rit d’un rire puissant qui fait trembler tout son corps ; sa bouche s’ouvre comme celle d’un cétacé, et le voilà qui dit en anglais des choses étranges, qui s’oublie avec moi dans des confidences à le faire pendre ; la conversation tourne en douce causerie de pirate…

La chola rentrée dans sa cabine, on fait venir un matelot tatoué, qu’on déshabille au dessert. C’est pour me montrer ce tatouage, qui représente une chasse au renard.

Cela part du cou : des cavaliers, des chiens, qui galopent, descendent en spirale autour du torse.

— Vous ne voyez pas encore le renard ? me demanda le capitaine avec son plus joyeux rire.