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XCI

Le soir de l’immersion de Barazère, Yves avait amené son ami Jean Barrada dans ma chambre avec lui. Ils restaient maintenant les derniers de toute l’ancienne bande : Kerboul, Le Hello, dormaient depuis longtemps au fond de la mer, descendus, eux aussi, en pleine jeunesse ; les autres, partis pour naviguer au commerce, ou rentrés dans leurs villages ; tous dispersés.

C’étaient de très anciens amis, Yves et ce Barrada. À terre, quand ils étaient réunis, ils ne faisait pas bon se mettre en travers de leurs fantaisies.

Je les vois encore tous deux assis devant moi, de moitié sur la même chaise à cause de l’exiguïté du logis, se tenant d’une main par habitude de rouler, et me regardant avec leurs yeux attentifs. C’est que j’essayais de leur démontrer ce soir-là que les hommes ce n’était pas comme les bêtes, de leur parler du mystérieux après… Et eux, ayant cette mort toute fraîche dans la mémoire, m’écoutaient surpris, captivés, au milieu de cette tranquillité très particu-