Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confiée, et le polissait avec sollicitude, se reculant de temps en temps d’un air entendu pour voir si ça reluisait, si ça faisait bien. Et, autour de ces grands enfants, le monde, c’était toujours et toujours le cercle bleu, l’inexorable cercle bleu, la solitude resplendissante, profonde, qui ne finissait pas, où rien ne changeait et où rien ne passait.

Rien ne passait que les bandes étourdies des poissons-volants aux allures de flèche, si rapides qu’on n’apercevait que des luisants d’ailes, et c’était tout. Il y en avait de plusieurs sortes : d’abord les gros, qui étaient couleur d’acier bleui, et puis de plus petits et de plus rares qui semblaient avoir des nuances de mauve et de pivoine ; on était surpris par leur vol rose, et, quand on voulait les regarder, c’était trop tard ; un petit coin de l’eau crépitait encore et étincelait de soleil comme sous une grêle de balles ; c’était là qu’ils avaient fait leur plongeon, mais ils n’y étaient plus.

Quelquefois une frégate — grand oiseau mystérieux qui est toujours seul — traversait à une excessive hauteur les espaces de l’air, filant droit avec ses ailes minces et sa queue en ciseaux, se hâtant comme si elle avait un but. Alors les ma-