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Le sentir si loin, et me retrouver seul dans ces sentiers de Toulven !

Nous courions comme des fous tous les trois dans les chemins verts, sous le ciel gris, elles avec leurs grandes coiffes au vent. La nuit allait bientôt venir, et c’était pour faire pendant cette dernière heure de jour la moisson de fougères et de bruyères bretonnes que je devais, le lendemain matin, emporter avec moi à Paris. Oh ! ces départs, toujours rapides, changeant tout, jetant leur tristesse sur les choses qu’on va quitter, et nous lançant après dans l’inconnu !

Cette fois encore, c’était la grande mélancolie de l’arrière automne : l’air resté tiède, la verdure admirable, presque l’intensité de vert des tropiques, mais toujours ce ciel breton tout gris et sombre, et déjà des senteurs de feuilles mortes et d’hiver…

Nous avions laissé petit Pierre à la maison pour courir plus vite. En route, nous cueillions les dernières digitales, les derniers silènes roses, les dernières scabieuses.

Dans les chemins creux, dans la nuit verte, nous rencontrions les vieillards à longue chevelure, les femmes au corselet de drap brodé de rangées d’yeux.

Il y avait des carrefours mystérieux au milieu de