Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/41

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perdues ! Il songea à sa mère et sentit un grand coup dans le cœur ; ses yeux s’ouvrirent effarés, regardant en dedans, dilatés dans une fixité étrange par un tumulte de choses intérieures. Et, avec l’espoir que ce n’était qu’un mauvais rêve, il essaya de secouer dans l’anneau de fer son pied meurtri.

Alors un éclat de rire sonore, profond, partit comme une fusée dans la cale noire : un homme, vêtu d’un tricot rayé collant sur le torse, était debout devant Yves et le regardait ; dans son rire, il renversait en arrière une tête admirable et montrait ses dents blanches avec une expression féline.

— Alors, tu te réveilles ? interrogea l’homme de sa voix mordante, qui vibrait avec l’accent bordelais.

Yves reconnut son ami Jean Barrada, le canonnier, et, levant les yeux vers lui, il lui demanda si je le savais.

— Té ! dit Barrada avec sa gouaillerie de Gascon, s’il le sait ! Il est descendu trois fois et même il a mené le docteur ici pour te voir ; tu étais raide, tu leur as fait peur. Et je suis de faction ici, moi, pour le prévenir si tu bouges.