Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/54

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Nous connaissions ce jeu, qui est en usage dans les mauvais lieux de cette côte ; enivrer les marins, leur faire signer quelque engagement insensé, et puis les embarquer de force quand ils ne tiennent plus debout. Ensuite on appareille, bien vite, et, quand l’homme revient à lui, le navire est loin ; alors il est pris, sous un joug de fer, on l’emmène, comme un esclave, pêcher la baleine, loin de toute terre habitée. Une fois là, d’ailleurs, plus de danger qu’il ne s’échappe, car il est déserteur à son pays, perdu…

Donc, ce convoi qui passait nous semblait suspect. Ils se pressaient comme des voleurs, et je dis aux matelots : « Courons-leur dessus ! »

Eux, alors, de lâcher leur fardeau, qui tomba lourdement par terre, et puis de s’enfuir à toutes jambes.

Le fardeau, c’était Kermadec. Du temps que nous étions occupés à le ramasser, à le reconnaître, nous avions laissé échapper les autres, qui s’étaient enfermés dans la taverne. Les matelots voulaient enfoncer les portes, la prendre d’assaut, mais il en serait résulté des complications diplomatiques avec l’Uruguay.