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Dans le coupé d’une vieille diligence de campagne, nous sommes assis tous deux à côté d’un curé breton. Les chevaux nous emportent assez bon train vers le pays de Saint-Pol, et tout cela a un air très réel.

C’est de bon matin, aux premiers jours de mai ; cependant la pluie tombe fine et grise comme une pluie d’hiver. Clopin-clopant, par la route tortueuse, montant les pentes raides, descendant dans les bas-fonds humides, nous roulons au milieu des bois et des rochers. Les hauteurs sont couvertes de sapins noirs. Dans les lieux bas, ce sont de grands chênes ou des hêtres, dont les feuilles toutes neuves, toutes mouillées, sont d’un vert très tendre. Le long du chemin, il y a des tapis de marguerites et de fleurs bretonnes ; les premiers silènes roses et les premières digitales.


Au détour d’un rocher, la pluie cesse comme le vent et, du même coup, tout change d’aspect.

Nous découvrons à perte de vue un grand pays plat, une lande aride, nue comme un désert : le vieux pays de Léon, au fond duquel, tout là-bas, le Creizker dresse sa flèche de granit.