Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/93

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où je suis revenu de la guerre. Mais j’ai trop envie de les voir, il faut que je m’en aille…

Moi aussi, j’aurais fait comme lui.

Paimpol dort quand nous sortons par un pâle clair de lune. Je l’accompagne un bout de chemin, pour raccourcir ma soirée. Nous voici dans les champs.

Yves marche très vite, très agité, et repasse dans sa tête les souvenirs de ses autres retours.

— Oui, dit-il, après la guerre, je suis venu comme ça, vers deux heures du matin, les réveiller. J’avais fait la route à pied depuis Saint-Brieuc ; je m’en retournais, bien fatigué, du siège de Paris. Vous pensez, j’étais tout jeune alors, je venais de passer matelot.

» Et tenez, j’avais eu bien peur, cette nuit-là : contre la croix de Kergrist, que nous allons voir au tournant de cette route ; j’avais trouvé un vieux petit homme très laid qui me regardait en tenant les bras en l’air et qui ne bougeait pas. Et je suis sûr que c’était un mort ; car il a disparu tout d’un coup en remuant son doigt comme pour me faire signe de venir.

Justement nous arrivions à cette croix de Ker-