Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Yann avait bien retrouvé tout de suite ses façons d’être habituelles, comme si son grand chagrin n’eût pas persisté : vigilant et alerte, prompt à la manœuvre et à la pêche, l’allure désinvolte comme qui n’a pas de soucis ; du reste, communicatif à ses heures seulement — qui étaient rares — et portant toujours la tête aussi haut avec son air à la fois indifférent et dominateur.

Le soir, au souper, dans le logis fruste que protégeait la Vierge de faïence, quand on était attablé, le grand couteau en main, devant quelque bonne assiettée toute chaude, il lui arrivait, comme autrefois, de rire aux choses drôles que les autres disaient.

En lui-même, peut-être, s’occupait-il un peu de cette Gaud, que Sylvestre lui avait sans doute donnée pour femme dans ses dernières petites idées d’agonie, — et qui était devenue une pauvre fille à présent sans personne au monde… Peut-être bien surtout, le deuil de ce frère durait-il encore dans le fond de son cœur…

Mais ce cœur d’Yann était une région vierge, difficile à gouverner, peu connue, où se passaient des choses qui ne se révélaient pas au dehors.