Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/240

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dans un navire en l’écoutant, elle y mêlait le souvenir toujours présent et douloureux de Yann, dont ces choses étaient le domaine ; durant les grandes nuits d’épouvante, où tout était déchaîné et hurlant dans le noir du dehors, elle songeait avec plus d’angoisse à lui.

Et puis seule, toujours seule avec cette grand’mère qui dormait, elle avait peur quelquefois et regardait dans les coins obscurs, en pensant aux marins ses ancêtres, qui avaient vécu dans ces étagères d’armoires, qui avaient péri au large pendant de semblables nuits, et dont les âmes pouvaient revenir ; elle ne se sentait pas protégée contre la visite de ces morts par la présence de cette si vieille femme qui était déjà presque des leurs…

Tout à coup elle frémissait de la tête aux pieds, en entendant partir du coin de la cheminée un petit filet de voix cassé, flûté, comme étouffé sous terre. D’un ton guilleret qui donnait froid à l’âme, la voix chantait :

Pour la pêche d’Islande, mon mari vient de partir ;
                   Il m’a laissée sans le sou,
                   Mais… trala, trala, la lou…