s’agiter dans l’obscurité les longs rideaux blancs qui parfois s’envolaient jusqu’au plafond. Nous étions seuls, Lucette et moi, et nous avions peur tous deux ; le sentiment « elmique » de forme effrayante s’était emparé de moi avec une puissance inaccoutumée, comme si l’être ou la chose qui le produisait s’approchait de nous jusqu’à nous frôler. (Je n’ai jamais su d’où ce mot elmique avait pu me venir ; c’est en rêve qu’il avait été prononcé à mon oreille par quelque fantôme, et pour moi il était le seul pouvant désigner le je ne sais quoi inexprimable caché la nuit au fond des bois de la Limoise.) J’avais apporté de Rochefort, pour y apprendre une leçon le lendemain, un petit livre de morceaux choisis dans lequel à la lueur des éclairs, nous nous amusions, Lucette et moi, à lire des passages interrompus, en nous penchant bien près, nos fronts l’un contre l’autre. Mais tout en lisant, je regardais aussi dehors, je pensais avec inquiétude, que, derrière le vieux mur très bas de l’enclos, il y avait tout de suite les bois de chênes et la plaine de bruyères, éclairés par l’orage. Le souvenir des Druides surtout vint me faire frissonner ; je me les représentai réveillés tous par ce grand bruit du tonnerre et courant comme des fous entre les arbres, avec de longues robes blanches que le vent
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