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LE ROMAN D’UN ENFANT

dant Pierre. Je me demandai : « Que sera-ce de cet enfant ? »

« Que sera-ce aussi de sa petite amie, dont la silhouette apparaît, persistante, au bout du chemin ? Qu’y a-t-il de désespérance dans ce tout petit cœur ; qu’y a-t-il d’angoisse, en présence de cet abandon ? »

« Que sera-ce de cet enfant ? » Oh ! mon Dieu, rien autre chose que ce qui en a été ce jour-là ; dans l’avenir, rien de moins, rien de plus. Ces départs, ces emballages puérils de mille objets sans valeur appréciable, ce besoin de tout emporter, de se faire suivre d’un monde de souvenirs, — et surtout ces adieux à des petites créatures sauvages, aimées peut-être précisément parce qu’elles étaient ainsi, — ça représente toute ma vie, cela…

Les deux ou trois journées que dura le voyage de retour, arrêt compris chez nos vieilles tantes de l’île, me semblèrent d’une longueur sans fin. L’impatience d’embrasser maman m’ôtait le sommeil. Près de deux mois passés sans la voir ! Ma sœur, en ce temps-là, était bien la seule personne au monde qui pût me faire supporter une séparation si longue !

Quand nous fûmes de retour sur le continent ; après trois heures de route depuis la plage où une