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LE ROMAN D’UN ENFANT

dans le silence des nuits de gelée, je me trouvais là tout près pour l’entendre.

Elle annonçait le froid, comme les hirondelles annoncent le printemps ; après les fraîcheurs d’automne, la première fois qu’on entendait sa chanson, on disait : « Voici l’hiver qui nous est arrivé. »

Le salon de ces veillées, tel que je l’ai connu alors, était grand et me paraissait immense. Très simple, mais avec un certain bon goût d’arrangement : les murs et les bois des portes, bruns avec des filets d’or mat ; des meubles de velours rouge, qui devaient dater de Louis-Philippe ; des portraits de famille, dans des cadres austères, noir et or ; sur la cheminée, des bronzes d’aspect grave ; sur la table du milieu, à une place d’honneur, une grosse Bible du xvie siècle, relique vénérable d’ancêtres huguenots persécutés pour leur foi ; et des fleurs, toujours des corbeilles et des vases de fleurs, à une époque où cependant la mode n’en était pas encore répandue comme aujourd’hui.

Après dîner, c’était pour moi un instant délicieux que celui où on venait s’installer là, en quittant la salle à manger ; tout avait un bon air de paix et de confort ; et quand toute la famille était assise, grand’mère et tantes, en cercle, je commençais par gambader au milieu, sur le tapis rouge, dans ma