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LE ROMAN D’UN ENFANT

que je viens de dire, il faudrait l’atténuer beaucoup, l’envelopper comme d’un voile blanc. Mais déjà le germe d’un trouble, d’une aspiration vers je ne sais quoi d’autre et d’inconnu, était planté dans ma petite tête ; en rentrant, avec mes gâteaux à la main, dans ce salon où on parlait si bas, il m’arrivait, pendant un instant d’une durée à peine appréciable, de me sentir étiolé et captif.

À neuf heures et demie, rarement plus tard à cause de moi, on servait le thé et les très minces tartines — beurrées d’un beurre exquis et taillées avec ces soins qu’on n’a plus le temps d’apporter à quoi que ce soit, de nos jours. Ensuite, vers onze heures, après la lecture de la Bible et la prière, on allait se coucher.

Dans mon petit lit blanc, j’étais plus agité le dimanche que les autres jours. D’abord il y avait la perspective de M. Ratin, qui demain allait reparaître, plus pénible à voir après ce temps de répit ; je regrettais que ce jour de repos fût déjà fini, fini si vite, et je m’ennuyais par avance de ces devoirs qu’il faudrait faire pendant toute une semaine avant d’atteindre le dimanche suivant. Puis quelquefois, dans le lointain, une bande de matelots passait en chantant, et alors mes idées changeaient de cours, s’en allaient vers les colonies ou les navires ; il me