Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
LE ROMAN D’UN ENFANT

cela entre nous : un même tour de moquerie légère, un accord complet dans notre sentiment de l’incohérence et du ridicule. Aussi lui trouvais-je plus d’esprit qu’à personne, et, sur un seul mot échangé, nous riions souvent ensemble, aux dépens de notre prochain ou de nous-mêmes, en fusée subite, jusqu’à en être pâmés, jusqu’à nous en jeter par terre.

Tout cela ne cadrait guère, je le reconnais, avec les sombres rêveries apocalyptiques et les graves controverses religieuses. Mais j’étais déjà plein de contradictions à cette époque…

Pauvre petite Lucette ou Luçon (Luçon était un nom propre masculin singulier que je lui avais donné ; je disais : Mon bon Luçon) ; pauvre petite Lucette, elle était pourtant un de mes professeurs, elle aussi ; mais un professeur par exemple qui ne me causait ni dégoût ni effroi ; comme M. Ratin, elle avait un cahier de notes, sur lequel elle inscrivait des bien ou des très bien et que j’étais tenu de montrer à mes parents le soir. — Car j’ai négligé de dire plus tôt qu’elle s’était amusée à m’apprendre le piano, de très bonne heure, en cachette, en surprise, pour me faire exécuter un soir, à l’occasion d’une solennité de famille, l’air du Petit Suisse et l’air du Rocher de Saint-Malo. — Il en était résulté qu’on l’avait priée de continuer son œuvre si bien com-