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LE ROMAN D’UN ENFANT

Rien que de s’y rendre me paraissait déjà une chose délicieuse. Très rarement en voiture — car elle n’était guère qu’à cinq ou six kilomètres, cette Limoise, bien qu’elle me semblât très loin, très perdue dans les bois. C’était vers le sud, dans la direction des pays chauds. (J’en aurais trouvé le charme moins grand si c’eût été du côté du nord.)

Donc, tous les mercredis soirs, au déclin du soleil, à des heures variables suivant les mois, je partais de la maison en compagnie du frère aîné de Lucette, grand garçon de dix-huit ou vingt ans qui me faisait l’effet alors d’un homme d’âge mûr. Autant que possible, je marchais à son pas, plus vite par conséquent que dans mes promenades habituelles avec mon père et ma sœur ; nous descendions par les tranquilles quartiers bas, pour passer devant cette vieille caserne des matelots dont les bruits bien connus de clairons et de tambours venaient jusqu’à mon musée, les jours de vent de sud ; puis nous franchissions les remparts, par la plus ancienne et la plus grise des portes, — une porte assez abandonnée, où ne passent plus guère que des paysans, des troupeaux, — et nous arrivions enfin sur la route qui mène à la rivière.

Deux kilomètres d’une avenue bien droite, bordée en ce temps-là de vieux arbres rabougris, qui étaient