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LE ROMAN D’UN ENFANT

moutons, avec des bergères qui les gardaient, bien plus paysannes, plus noircies au grand air que celles des environs de la ville. Et ces Chaumes mélancoliques, brûlés de soleil, étaient pour moi comme le vestibule de la Limoise ; ils en avaient déjà le parfum de serpolet et de marjolaine.

Au bout de cette petite lande apparaissait le hameau du Frelin. — Or, j’aimais ce nom de Frelin, il me semblait dériver de ces gros frelons terribles des bois de la Limoise, qui nichaient dans le cœur de certains chênes et qu’on détruisait au printemps en allumant de grands feux alentour. Trois ou quatre maisonnettes composaient ce hameau. Toutes basses, comme c’est l’usage dans nos pays, elles étaient vieilles, vieilles, grisâtres ; des fleurons gothiques, des blasons à moitié effacés surmontaient leurs petites portes rondes. Presque toujours entrevues à la même heure, à la lumière mourante, à la tombée du crépuscule, elles évoquaient dans mon esprit le mystère du temps passé ; surtout elles attestaient l’antiquité de ce sol rocheux, très antérieur à nos prairies de la ville qui ont été gagnées sur la mer, et où rien ne remonte beaucoup plus loin que l’époque de Louis XIV.

Après le Frelin, je commençais à regarder en avant de moi dans les sentiers, car en général on