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LE ROMAN D’UN ENFANT

sieurs fois de cette féerie, qui a été une des choses capitales de mon enfance.

Et même après que Jeanne s’en fut lassée, je continuai seul, surenchérissant toujours, me lançant dans des entreprises réellement grandioses, de clairs de lune, d’embrasements, d’orages. Je fis aussi des palais merveilleux, des jardins d’Aladin. Tous les rêves d’habitations enchantées, de luxes étranges que j’ai plus ou moins réalisés plus tard, dans divers coins du monde, ont pris forme, pour la première fois, sur ce théâtre de Peau-d’Ane ; au sortir de mon mysticisme des commencements, je pourrais presque dire que toute la chimère de ma vie a été d’abord essayée, mise en action sur cette très petite scène-là. J’avais bien quinze ans, lorsque les derniers décors inachevés s’enfermèrent pour jamais dans les cartons qui leur servent de tranquille sépulture.

Et, puisque j’en suis à anticiper ainsi sur l’avenir, je note ceci, pour terminer : ces dernières années, avec Jeanne devenue une belle dame, nous avons formé vingt fois le projet de rouvrir ensemble les boîtes où dorment nos petites poupées mortes, — mais la vie à présent s’en va si vite que nous n’en avons jamais trouvé le temps, ni ne le trouverons jamais.

Nos enfants, peut-être, plus tard ? — ou, qui