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LE ROMAN D’UN ENFANT

me serrer le cœur, en ajoutant à mon désenchantement sur les soirées de mai la conscience de la vanité des prières et du néant de tout.

Dans le jardin de la Marine, ma tristesse s’augmenta encore. Il faisait froid décidément, et nous frissonnions, tout étonnés, sous nos costumes de printemps. Il n’y avait du reste pas un seul promeneur nulle part. Les grands marronniers fleuris, les arbres feuillus, feuillus, d’une nuance fraîche et éclatante, se suivaient en longues enfilades touffues, absolument vides ; la magnificence des verts s’étalait pour les regards de personne, sous un ciel immobile, d’un gris pâle et glacé. Et le long des parterres, c’était une profusion de roses, de pivoines, de lis, qui semblaient s’être trompés de saison et frissonner comme nous, sous ce crépuscule subitement refroidi.

J’ai souvent trouvé du reste que les mélancolies des printemps dépassent celles des automnes, sans doute parce qu’elles sont un contresens, une déception sur la seule chose du monde qui devrait au moins ne jamais nous manquer.

Dans le désorientement où ces aspects me jetaient, l’envie me prit de faire à Jeanne une niche de gamin.

Il me venait parfois de ces tentations-là avec elle,