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LE ROMAN D’UN ENFANT

cule de mort, comme après que le soleil se serait éteint pour jamais ; il y avait dans les choses, dans l’air, une de ces indicibles désolations de rêve, qu’à l’état de veille on n’est même plus capable de concevoir.

Arrivé au fond, près de ce petit bassin tant aimé, je me sentis m’élever de terre comme un oiseau qui prend son vol. D’abord, je flottai indécis comme une chose trop légère, puis je franchis le mur vers le sud-ouest, dans la direction de l’Océanie ; je ne me voyais point d’ailes, et je volais couché sur le dos, dans une angoisse de vertige et de chute ; je prenais une effroyable vitesse, comme celle des pierres de fronde, des astres fous tournoyant dans le vide ; au-dessous de moi fuyaient des mers et des mers, blêmes et confuses, toujours par ce même crépuscule de monde qui va finir… Et, après quelques secondes, subitement, les grands arbres de la vallée de Fataüa m’entourèrent dans l’obscurité : j’étais arrivé.

Là, dans ce site, je continuai de rêver, mais an cessant de croire à mon rêve, — tant l’impossibilité d’être jamais réellement là-bas s’imposait à mon esprit, — et puis, trop souvent, j’avais été dupe de ces visions-là, qui s’en allaient toujours avec le sommeil. Je redoutais seulement de me réveiller, tant