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LE ROMAN D’UN ENFANT

un peu solitaire qu’on voyait du haut de ce mur, je me la représentais comme devant se continuer indéfiniment ainsi, par des landes et des bois, en vrai site de contrée primitive ; j’avais beau très bien savoir, à présent, qu’au delà se trouvaient, comme ailleurs, des routes, des cultures et des villes, je réussissais à garder l’illusion de la sauvagerie de ces lointains.

Du reste, pour mieux me tromper moi-même, j’avais soin de cacher, avec mes doigts repliés en longue-vue, tout ce qui pouvait me gâter cet ensemble désert : une vieille ferme là-bas, avec un coin de vigne labourée et un bout de chemin. Et là, tout seul, distrait par rien dans ce silence plein de bourdonnements d’insectes, dirigeant toujours le creux de ma main vers les parties les plus agrestes d’alentour, j’arrivais très bien à me donner des impressions de pays exotiques et sauvages.

Des impressions de Brésil surtout. Je ne sais pas pourquoi c’était plutôt le Brésil, que le bois voisin me représentait, dans ces moments de contemplations.

Et il me faut dire en passant comment est ce bois, le premier de tous les bois de la terre que j’aie connu et celui que j’ai le plus aimé : de très vieux chênes verts, arbres aux feuilles persistantes et