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LE ROMAN D’UN ENFANT

en gros papier rude d’autrefois, et je l’ouvris distraitement… J’appris alors, avec un tressaillement d’émotion, que de midi à quatre heures du soir, le 20 juin 1813, par 110 degrés de longitude et 15 degrés de latitude australe (entre les tropiques par conséquent et dans les parages du Grand Océan), il faisait beau temps, belle mer, jolie brise de sud-est, qu’il y avait au ciel plusieurs de ces petits nuages blancs nommés « queues de chat » et que, le long du navire, des dorades passaient…

Morts sans doute depuis longtemps, ceux qui avaient noté ces formes fugitives de nuages et qui avaient regardé passer ces dorades… Ce cahier, je le compris, était un de ces registres appelés « journaux de bord », que les marins tiennent chaque jour ; je ne m’en étonnai même pas comme d’une chose nouvelle, bien que n’en ayant encore jamais eu entre les mains. Mais c’était étrange et inattendu pour moi, de pénétrer ainsi tout à coup dans l’intimité de ces aspects du ciel et de la mer, au milieu du Grand Océan, et à une date si précise d’une année déjà si lointaine… Oh ! voir cette mer « belle » et tranquille, ces « queues de chat » jetées sur l’immensité profonde de ce ciel bleu, et ces dorades rapides traversant les solitudes australes !…

Dans cette vie des marins, dans leur métier qui