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LE ROMAN D’UN ENFANT

Je retrouvai avec bonheur ma petite bande au complet. Nous avions un peu grandi les uns et les autres, nous étions plus hauts de quelques centimètres ; mais nous vîmes tout de suite qu’à part cela nous n’avions pas changé, que nous étions, aussi enfants, et disposés aux mêmes jeux.

Il y eut un orage effroyable à la tombée de la nuit. Et, pendant qu’il tonnait à tout briser, comme si on eût tiré des salves d’artillerie sur le toit de la maison de mon oncle ; pendant que toutes les vieilles gargouilles du village vomissaient de l’eau tourmentée et que des torrents couraient sur les pavés en galets noirs des rues, nous nous étions réfugiés, les petits Peyral et moi, dans la cuisine, pour y faire tapage plus à notre aise et y danser des rondes.

Très grande, cette cuisine ; garnie suivant la mode ancienne d’un arsenal d’ustensiles en cuivre rouge, séries de poêles et de chaudrons, accrochés aux murailles par ordre de grandeur, et brillant comme des pièces d’armure. Il faisait presque noir ; on commençait à sentir la bonne odeur de l’orage, de la terre mouillée, de la pluie d’été ; et par les épaisses fenêtres Louis XIII, grillées de fer, entraient de minute en minute les grandes lueurs vertes aveuglantes qui nous obligeaient, malgré nous, de cligner des