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LE ROMAN D’UN ENFANT

de retarder cette lettre qui, avec mes idées d’alors, rendrait pour moi la décision irrévocable, une fois qu’elle serait ainsi déclarée. Sur la terre sèche, il y avait déjà des pampres roussis, beaucoup de feuilles mortes ; des passe-roses, des dahlias devenus hauts comme des arbres, fleurissaient plus maigrement au bout de leurs tiges longues ; l’ardent soleil achevait de dorer ces raisins à grosses graines qui mûrissent toujours sur le tard et qui ont une senteur musquée ; malgré la grande chaleur, la grande limpidité bleue du ciel, on avait bien l’impression de l’été finissant.

Ce fut le berceau du fond que je choisis enfin pour m’y établir ; les vignes y étaient très effeuillées, mais les derniers papillons à reflet de métal bleu y venaient encore, avec les guêpes, se poser sur les sarments des muscats.

Là, dans un grand calme de solitude, dans un grand silence d’été rempli de musiques de mouches, j’écrivis et signai timidement mon pacte avec la marine.

De la lettre elle-même, je ne me souviens plus ; mais je me rappelle l’émotion avec laquelle je la cachetai, comme si, sous cette enveloppe, j’avais scellé pour jamais ma destinée.

Après un temps d’arrêt encore et de rêverie, je