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LE ROMAN D’UN ENFANT

milles protestantes, c’était ainsi tous les soirs, — avant le moment où l’on se séparait pour la nuit.

« Puis la porte fut fermée… » Agenouillé, je n’écoutais plus la prière, car les vierges folles m’apparaissaient… Elles étaient vêtues de voiles blancs, qui flottaient pendant leur course angoissée, et elles tenaient à la main des petites lampes aux flammes vacillantes, — qui tout aussitôt s’éteignirent, les laissant à jamais dans les ténèbres du dehors, devant cette porte fermée, fermée irrévocablement pour l’éternité !… Ainsi, un moment pouvait donc venir où il serait trop tard pour supplier, où le Seigneur, lassé de nos péchés, ne nous écouterait plus !… Je n’avais encore jamais pensé que cela fut possible. Et une crainte, sombre et profonde, que rien dans ma foi de petit enfant n’avait pu me causer jusqu’à ce jour, me prit tout entier, en présence de l’irrémissible damnation…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Longtemps, pendant des semaines et pendant des mois, la parabole des vierges folles hanta mon sommeil. Et chaque soir, dès que l’obscurité tombait, je repassais en moi ces paroles, à la fois douces et effroyables : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure en laquelle le Fils de l’Homme viendra. » — S’il venait cette nuit, pensais-je ; si