Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/106

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« vertueuse ». Et de toutes les vertus, quelle est la plus illustre aux yeux du donateur ? Pourquoi le conseil municipal, la fabrique et les pompiers vont-ils entourer sur la Grand’Place cette jeune fille à glorifier comme une statue vivante ? Est-ce parce qu’elle a sauvé la vie de quelqu’un ? Non. Est-ce parce qu’elle nourrit de son travail ses petits frères ou ses vieux parents ? Non ; elle est seule et orpheline. Est-ce parce qu’elle a donné des fils à la patrie ? C’est justement parce qu’elle lui en refuse ! Si on l’acclame, si on l’embrasse, si le préfet la montre au peuple, si on lui joue la « Marseillaise », c’est parce que, belle, robuste et saine, elle s’opiniâtre contre tous dans la stérilité volontaire.

On reproche aux Carmélites d’être célibataires et vierges, mais quand ce même célibat, cette même virginité sont le fait d’une blanchisseuse, il n’y a pas assez d’orphéons, de quinquets et de pétards pour annoncer aux citoyens qu’on va leur présenter une fille dont la vie est un exemple.

Exemple qu’on peut suivre ou ne pas suivre, dira-t-on. Non pas !

En province, c’est-à dire parmi 35 millions de Français sur 38, toute fille qui devient amante « fait une faute » ; le terme est significatif. Les commères ne la reçoivent plus. On la fuit. Parfois on l’insulte. Si elle est domestique, on la chasse. Si elle est institutrice, on la dénonce,