Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Votre beauté est si complète et naturellement née que le monument est obligé de se conformer à elle et qu’il lui doit la plus large part de l’émotion latente qui palpite dans ses marbres. Le monument n’est beau qu’autant qu’il participe à la vie qui l’entoure ou à la nature qui le soutient. La lagune fait le palais des Doges, l’Acropole fait le Parthénon ; la lumière fait toute l’Italie, je dirais presque tout le monde antique. Entre l’obélisque de Paris et son frère resté à Louxor, il n’y a plus ressemblance aucune, et c’est miracle que le nôtre ait su prendre une beauté nouvelle en abandonnant sur la terre égyptienne tout ce qui lui donnait signification et grandeur.

Ainsi l’esthétique d’un palais dépend de ce qu’on pourrait appeler l’âme de la ville. Vous vous rappelez quelles protestations ont surgi récemment à Paris lorsque l’on a cru (peut-être à tort) que certain projet de pont menaçait la vue de la Cité. Ce n’était pas que les pétitionnaires fussent émus d’admiration devant les lignes du Pont-Neuf ; ce n’était pas non plus que les maisons de la place Dauphine eussent les caractères des chefs-d’œuvre ; mais la Cité est le cœur de Paris ; il n’en reste à peu près rien que cette pointe occidentale ; tout ce qui était notre berceau a été jeté bas depuis cinquante ans ; Notre-Dame, entre l’Hôtel-Dieu et la caserne, a presque l’apparence d’une église moderne construite en faux