Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/183

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même. Lui, jamais. Certaines avenues connaissent leurs jours de fête, les Champs-Élysées ont leurs Grands Prix, les boulevards extérieurs leurs semaines de foire ; mais cela aussi est une monotonie que chaque année ramène à des dates prévues. Lui, il change tout à coup, comme la mer, sous une rafale.

Ce soir, il est calme. Il se promène et s’amuse. En l’absence des inquiétudes, il joue à l’esprit. Il invente des mots. Les passantes l’intéressent. Les modes l’occupent. La voiture nouvelle d’une actrice est l’événement de la soirée. Une femme qui passe avec un inconnu fait hausser les têtes des hommes et chacun raconte son histoire ou développe sa légende. On entoure les colonnes Morris, on considère les étalages, on lirait presque les affiches tant cette fin de jour est désœuvrée.

Et puis, voici un remous de la foule ; des gens se pressent, des crieurs hurlent, les transparents des journaux s’allument : une dépêche grave, un événement. C’est l’orage. En un instant, le Boulevard est devenu noir.

Alors toute la ville accourt vers lui, inquiète, furieuse ou enthousiaste. Les trottoirs débordent, la voie est envahie. Les camelots, suants et haletants, jettent à la foule des centaines de feuilles blanches, imprimées d’encre fraîche et pas même pliées : on les voit voler de groupe en groupe comme des oiseaux annonciateurs.