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VERS LES YEUX DES SIRÈNES


À Madame Judith Gautier.


Qu’on déserte la ville ! Que nul ne rallume
L’autel ! Nous laisserons à tout jamais, ce soir,
Les dieux horribles de la terre, et dans le noir
Nous partirons, suivis par un frisson d’écume…

La nef impérieuse à travers l’amertume
Bondira, tranchant l’eau du fil de son coupoir,
Et nous nous pencherons sur la proue, à l’espoir
De vos terribles voix, déesses de la brume !

Grands poissons glauques d’où fleurissent des corps blancs,
Nus miroirs de la lune et des flots nonchalants,
Vous qui chantez vos yeux dans les algues, Sirènes !

Quand nous aurons touché vos bouches, vous pourrez,
D’un signe seulement de vos doigts adorés,
Délivrer dans la mort nos âmes plus sereines.