Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 3.djvu/35

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mouvement du vaisseau, l’odeur de la mer, la couleur de la nuit, la fraîcheur de l’aube, et le second jour, et le second crépuscule, et le débarquement.

Elle savait qu’elle avait dormi près du Tueur, côte à côte avec sa gloire, et elle s’éveillait dans une félicité parfaite, devant l’horizon d’une vie également heureuse et certaine.

Sa main s’étendit. Sa main retomba sur la terre. Sa main chercha, tourna, recula, étonnée. Toujours l’herbe ou le sable ou les fleurs froides ou la boue.

Elle appela :

« Thésée ! »

Elle ouvrit les yeux, et la bouche, et elle se dressa, et elle leva les deux bras, et une sueur affreuse glissa de ses cheveux. Ni auprès d’elle, ni devant elle, ni à ses pieds, ni dans ses bras…

Elle courut vers la mer, le vaisseau était démarré.

Loin, moitié sur le ciel et moitié sur les flots, un petit oiseau noir s’enfuyait, nef rapide qui portait la fortune de Thésée, si loin que la vue même le distinguait à peine et que le cri désespéré mourut avant de l’atteindre.

Folie ! elle entra dans la mer, jetant sa tunique aux galets. Les vagues heurtaient ses cuisses frissonnantes. L’eau monta jusqu’à son ventre.

Elle cria :

« Ô Poseïdôn, Roi des champs glauques, Pasteur des flots ! soulève-moi, emporte-moi jusqu’à celui qui est moi-même !… »