Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/13

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d’admirables vers, et personne n’a encore osé traduire ce recueil impudique et sublime.

On cite toujours, en vue de défendre les mœurs grecques, l’enseignement de quelques philosophes qui blâmaient les plaisirs sexuels. Il y a là une confusion. Ces rares moralistes réprouvaient les excès de tous les sens indistinctement, sans qu’il y eût pour eux de différence entre la débauche du lit et celle de la table. Tel, aujourd’hui qui commande impunément un dîner de six louis pour lui seul dans un restaurant de Paris, eut été jugé par eux aussi coupable, et non pas moins, que tel autre qui donnerait en pleine rue un rendez-vous trop intime et qui pour ce fait serait condamné par les lois en vigueur à un an de prison. D’ailleurs, ces philosophes austères étaient regardés généralement par la société antique comme des fous malades ou dangereux : on les bafouait sur toutes les scènes ; on les rouait de coups dans la rue ; les tyrans les prenaient pour bouffons de leur cour et les citoyens libres les exilaient quand ils ne les jugeaient pas dignes de subir la peine capitale.

C’est donc par une supercherie consciente et volontaire que les éducateurs modernes, depuis la Renaissance jusqu’à l’heure actuelle, ont représenté la morale antique comme l’inspiratrice de leurs étroites vertus. Si cette morale fut grande, si elle mérite en effet d’être prise et d’être obéie, c’est précisément parce que nulle n’a mieux su distinguer