Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/160

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merveilleux. En retour de ses complaisances, les fauves lui donnaient sa nourriture et le protégeaient contre les hommes.

« Mais il se lassa de cette fastidieuse vie. Il devint tellement sûr de son génie et du plaisir qu’il donnait aux bêtes qu’il ne chercha plus à bien jouer. Les fauves, pourvu que ce fût lui, se trouvaient toujours satisfaits. Bientôt il se refusa même à leur donner ce contentement et cessa de jouer, par nonchalance. Toute la forêt fut triste, mais les morceaux de viande et les fruits savoureux ne manquèrent pas pour cela devant le seuil du musicien. On continua de le nourrir et on l’aima davantage. Le cœur des bêtes est ainsi fait.

« Or, un jour qu’appuyé dans sa porte ouverte il regardait le soleil descendre derrière les arbres immobiles, une lionne vint à passer près de là. Il fit un mouvement pour rentrer, comme s’il craignait des sollicitations fâcheuses. La lionne ne s’inquiéta pas de lui, et passa simplement.

« Alors il lui demanda, étonné : « Pourquoi ne me pries-tu pas de jouer ? » Elle répondit qu’elle ne s’en souciait pas. Il lui dit : « Tu ne me connais point ? » Elle répondit : « Tu es Orphée. » Il reprit : « Et tu ne veux pas m’entendre ? » Elle répéta : « Je ne veux pas. » — « Oh ! s’écria-t-il, oh ! que je suis à plaindre ! C’est justement pour toi que j’aurais voulu jouer. Tu es beaucoup plus belle