Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/177

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quait clairement le peu de cas qu’elle faisait de cet homme si habile à terminer les discussions. Elle se retourna vers Timon, qui était son voisin de lit, et lui mit la main sur le cou.

« Quel est le but de la vie ? » lui demanda-t-elle.

C’était la question qu’elle posait quand elle ne savait que dire à un philosophe ; mais cette fois elle mit une telle tendresse dans sa voix, que Timon crut entendre une déclaration d’amour.

Pourtant il répondit avec un certain calme :

« À chacun le sien, ma Chrysis. Il n’y a pas de but universel à l’existence des êtres. Pour moi, je suis le fils d’un banquier dont la clientèle comprend toutes les grandes courtisanes d’Égypte, et mon père ayant amassé par des moyens ingénieux une fortune considérable, je la restitue honnêtement aux victimes de ses bénéfices, en couchant avec elles aussi souvent que me le permet la force que les dieux m’ont donnée. Mon énergie, ai-je pensé, n’est susceptible de remplir qu’un seul devoir dans la vie. Tel est celui dont je fais choix puisqu’il concilie les exigences de la vertu la plus rare avec des satisfactions contraires qu’un autre idéal supporterait moins bien. »


Tout en parlant ainsi, il savait glissé sa jambe droite derrière celles de Chrysis couchée sur le côté, et il tentait de séparer les genoux clos de la courtisane pour donner un but précis à son exis-