Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/220

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— Mais on ne peut plus vouloir.

— Moi je le peux bien ! pourquoi ne pourrais-tu pas, toi qui es mon aînée ? »

Bérénice sourit de nouveau.

« Et sur qui ma petite fille, exercés-tu ton énergie ? sur laquelle de tes poupées ?

— Sur mon amant ! » dit Cléopâtre.

Puis, sans attendre que la stupéfaction de sa sœur eût trouvé des mots pour s’exprimer, elle reprit avec une exaltation croissante :

« Oui ! j’ai un amant ! Oui ! j’ai un amant ! Pourquoi, n’aurais-je pas un amant comme tout le monde, comme toi, comme ma mère, comme mes tantes, comme la dernière des Égyptiennes ? Pourquoi n’aurais-je pas un amant, puisque je suis femme depuis six mois et que tu ne me donnes pas un mari ? Oui, j’ai un amant, Bérénice, je ne suis plus une petite fille, je sais ! je sais !… Tais-toi, je sais mieux que toi-même… Moi aussi, j’ai serré mes bras à les briser sur le dos nu d’un homme qui se croyait mon maître. Moi aussi, j’ai crispé mes orteils sur le vide, avec le sentiment de lâcher prise dans la vie et je suis morte cent fois comme tu t’évanouis, mais aussitôt après, Bérénice, j’étais debout !… Tais-toi ! je suis honteuse de t’avoir pour souveraine, toi qui es l’esclave de quelqu’un ! »

La petite Cléopâtre toute droite se faisait aussi grande que possible et elle prenait sa tête dans