Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/14

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André Stévenol parvint à grand-peine à se frayer un chemin dans la foule qui bordait des deux côtés la vaste avenue poussiéreuse. Le cri des enfants vendeurs dominait tout : « ¡ Huevo’! Huevo’! » C’était la bataille des œufs.

« ¡ Huevo’ ¿ Quien quiere huevo’ ? ¡ A do’ perra’ gorda’ la docena ! »

Dans des corbeilles d’osier jaune, s’entassaient des centaines de coquilles d’œufs, vidées, puis remplies de papelillos et recollées par une bande fragile. Cela se lançait à tour de bras, comme des balles de lycéens, au hasard des visages qui passaient dans les lentes voitures ; et, debout sur les banquettes bleues, les caballeros et les señoras ripostaient sur la foule compacte en s’abritant comme ils pouvaient sous de petits éventails plissés.

Dès le début, André fit emplir ses poches de ces projectiles inoffensifs, et se battit avec entrain.

C’était un réel combat, car les œufs, sans jamais blesser, frappaient toutefois avec force avant d’éclater en neige de couleur, et André se surprit à lancer les siens d’un bras un peu plus vif qu’il n’était nécessaire. Une fois même, il brisa en deux un éventail d’écaille fragile. Mais aussi qu’il était déplacé de paraître à une telle mêlée avec un éventail de bal ! Il continua sans s’émouvoir.

Les voitures passaient, voitures de femmes, voitures d’amants, de familles, d’enfants ou d’amis.